Les 2èmes Rencontres des Populations de Montagne du Monde se sont tenues à Quito (Equateur) du 18 au 22 septembre 2002, à l'initiative de l'Association Nationale des Elus de Montagne (ANEM) et de l'Association Européenne des Elus de Montagne (AEEM). Elles faisaient suite aux premières rencontres tenues à Chambéry en juin 2000. Maire et conseillère générale d'Egletons, Bernadette Bourzai, qui représente les élus du Massif Central au Comité directeur de l'ANEM, y participait. Autant par curiosité pour la montagne andine que pour l'intérêt d'une manifestation aussi spécifique sur les problématiques de la montagne. Elle nous fait part de ses impressions.
Quito, à 2800 mètres d'altitude, au cœur des Andes, compte plus d'un million et demi d'habitants et présente toutes les caractéristiques d'une ville d'Amérique latine, qui juxtapose une superbe ville coloniale, classée au patrimoine mondial par l'UNESCO, une ville moderne organisée par un plan classique en damier et constituée principalement d'immeubles "gratte ciel", et des quartiers populaires et bidonvilles, conquérant anarchiquement les flancs des volcans qui encerclent la ville. Erosion dévastatrice, pollution, dégradation de l'environnement, encombrements des transports, violences, marquent le cadre de vie d'une urbanisation galopante et d'un "mal développement" généralisés en Amérique latine et dans le tiers monde en général, même si ces caractéristiques ne lui sont pas réservées.
Le défi de ces rencontres était de taille, puisqu'il s'agissait de rassembler des délégations venant de l'Himalaya, des Andes, des Alpes, du Caucase, des Carpates et d'autres massifs de la planète, sur des objectifs communs, qui supposent une vision commune de la montagne et de son évolution.
De fait, des points de vue communs sont rapidement apparus, liés aux conditions physiques spécifiques aux milieux montagnards : altitudes élevées, reliefs, versants, rudesse des climats, étagement de la végétation, et leurs conséquences sur les modes de vie : difficultés d'accès, enclavement, conditions de vie plus rudes, etc.
Réservoirs traditionnels d'hommes, réservoirs de matières premières, et en premier lieu, réservoirs d'EAU, réserves d'espaces et d'environnements préservés pour l'avenir, les massifs montagneux du monde ont également livré leurs différences, et la Montagne Limousine, pauvre en hommes, m'est apparue "bien riche" face aux hautes vallées de l'Himalaya ou aux "paramos" boliviens.
L'expression des représentants des populations ou communautés traduisait aussi de notables différences. Ainsi, la montagne française "organisée" depuis plus de vingt ans, ayant bénéficié d'une première loi montagne en 1985 (aussi imparfaite soit-elle), travaillant sur une seconde loi, a su convaincre et faire avancer la nécessité d'une prise en compte spécifique de la "montagne européenne" dans l'Union européenne.
Pour les montagnes du tiers monde le contraste était fort, tant au niveau du développement que de la manière de témoigner. Des montagnes d'Afrique "fatalistes" (à l'exception notable du Rif marocain remarquablement représenté), en passant par les communautés indiennes d'Equateur, de Bolivie et du Pérou, vigoureusement revendicatrices, aux témoignages népalais ou indiens, démonstratifs et constructifs, il y avait là une palette de situations contrastées mais semblables, dont le fil conducteur commun consistait en un respect exceptionnel de la nature, une véritable symbiose de l'homme avec son environnement naturel, animal, végétal… et une spiritualité forte entre les populations de montagne et leur cadre de vie1. Spiritualité qui a disparu dans les montagnes du Nord, développées au profit d'un développement économique utilitaire et mercantile.
La synthèse était donc difficile. Elle a cependant été réalisée au bout de trois jours de discussions animées, de débats enrichissants et révélateurs des conséquences d'une mondialisation de l'économie. Globalisation qui tend à uniformiser les modes de vie sur l'american way of life, approfondit le fossé Nord-Sud et accentue les contrastes mondiaux du développement2.
La charte adoptée construit un véritable projet pour la montagne, qui ne renie pas la nécessité d'un développement économique, mais durable et équitable, et préserve les valeurs essentielles, culturelles3 et spirituelles des montagnes du Sud.
Bernadette Bourzai
1. Un exemple de cet aspect sacré de la nature : lorsque la ville de Quito a construit un immense barrage réservoir sur le versant amazonien afin d’assurer son approvisionnement en eau, elle a consacré 40 000 dollars (soit 40 000 euros !) pour préserver un nid de condor, l’oiseau mythique des Andes...
2. Les méfaits de la globalisation sur l’effet de serre et le réchauffement de la planète sont très visibles à Quito. Une excursion à 4500 mètres, au pied du volcan Cotopaxi (5800 mètres) m’a permis de vérifier sur photo aérienne que la calotte de glace qui recouvre le sommet a fondu de moitié en trente ans (et ce n’est pas le fait du seul développement de l’Equateur).
3. Je vous livre cependant ma perplexité quant à la revendication forte des communautés indiennes de conserver la culture du coca, au nom des pratiques ancestrales, quand on sait les trafics d’argent et la criminalité qu’elle génère dans l’ensemble du monde. Mais que penser des cultures de substitution proposées et en particulier des cultures intensives des roses, sous serres, qui polluent les sols et mettent en danger la vie des travailleurs qui les cultivent ? La Colombie et l’Equateur en sont les deuxième et troisième producteurs et exportateurs mondiaux.