Trois niveaux institutionnels nés de l’histoire républicaine de la France ont structuré la vie des territoires : la commune, le département, l’État. Voici que maintenant, après la loi sur l’affirmation des métropoles qui a créé treize monstres technocratiques dotés d’un grand nombre de compétences stratégiques et de financements retirés aux communes concernées, dont le rôle s’efface, le gouvernement prévoit un train de cinq grandes mesures.
Ces intercommunalités seront de grande taille car elles devront a minima rassembler 10 000 habitants en zone rurale et plus de 300 000 en zone urbaine. Dans ce cadre et allégées de nombre de leurs compétences, les communes disparaissent comme principales structures de proximité. François Hollande a déclaré : “L’intercommunalité deviendra la structure de proximité et d’efficacité de l’action locale.“ En les intégrant à des échelons supérieurs (métropoles, intercommunalités) c’est la mort lente des communes que l’on vise.
Les conseils généraux seront dans un premier temps vidés de leurs compétences. Ainsi, ampute-t-on la France de ses départements, l’un des échelons le plus efficace de sa démocratie institutionnelle, que l’on va réduire à une entité administrative sous l’égide des préfets.
C’est ainsi que 13 grandes régions surdimensionnées verront le jour. Une réorganisation territoriale qui fait fi de l’histoire des territoires, de leurs réalités géographiques, culturelles et même économiques. Des régions, précisons-le, aux compétences sensiblement étendues avec un pouvoir d’adaptation normatif et contraignant pour l’ensemble du territoire concerné et dotées notamment des “outils pour accompagner la croissance des entreprises.“
Cette clause est la liberté pour les collectivités locales de pouvoir décider et mettre en œuvre des actions qui leur sont propres au-delà de leurs compétences strictes. Avec cette clause, les collectivités locales peuvent intervenir dans tous les domaines et, ainsi, être en mesure de favoriser des politiques de réduction des inégalités. Supprimer cette clause, c’est porter atteinte à leur libre administration, pourtant un principe constitutionnel.
C’est là une contribution, par l’austérité, à la baisse des investissements publics des collectivités qui génèrent pourtant 70% de l’investissement public du pays.
Ce bouleversement territorial qui marque la fin du processus de décentralisation, lourd de conséquences pour la vie quotidienne, pour la démocratie, s’expliquerait, dit-on, par une volonté de simplification administrative et une obligation d’économie budgétaire. Il n’en est rien. La réforme en cours répond à un projet politique en cohérence avec la logique néo-libérale d’une Europe des régions. Il repose sur deux postulats. L’un est économique : dans le libre jeu du marché et d’une concurrence libre et non faussée, le projet organise une dé-territorialisation, re-territorialisation de l’espace économique français, avec une nouvelle hiérarchisation de cet espace afin de favoriser plus efficacement encore les politiques néo-libérales dictées par l’espace politique européen. Les territoires sont donc façonnés pour qu’ils soient en mesure de proposer des prestations et des services selon une masse critique suffisante pour être concurrentielle.
Le mode de gestion conçu consiste à mieux canaliser l’intervention des territoires pour la rendre attractive pour le marché et les groupes de la finance. Dans cette optique, et par le biais de l’austérité, l’objectif est également de privatiser autant qu’il est possible le service public. La porte est ainsi ouverte au dumping social et fiscal au cœur même de la République tandis que la mise en concurrence des territoires va immanquablement proposer une France à plusieurs vitesses, a contrario de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national. Naguère des pans entiers de services publics ont été offerts à de grands groupes privés : hôpital, protection sociale, prisons, etc. Cela ne suffit plus. Ce que le système néo-libéral franco-européen vise, ce sont les 70% des investissements publics des collectivités territoriales qui lui échappent encore. Un des moteurs de la réforme Hollande-Valls trouve là sa combustion. Jean-Paul Huchon, président socialiste de la région Île-de-France nous le dit : il s’agirait avec la réforme “de rendre plus efficace la déclinaison du Pacte de responsabilité sur les territoires.“
L’autre postulat est d’ordre politique. La réforme éloigne les citoyens des lieux de décision afin de contrecarrer au maximum leurs interventions dans les choix publics. Elle réduit le nombre des élus au profit d’une “gouvernance“ technocratique. Le système capitaliste en crise a besoin d’institutions qui le soutiennent sans réserve et, à ses yeux, les élus locaux ne sont pas suffisamment fiables, dans la mesure où ils doivent imposer aux populations des décisions impopulaires de nature à fragiliser leur réélection. Foin donc de la démocratie, place à la médiation des experts et à une “gouvernance“ plus docile.
Le chamboulement territorial du gouvernement doit être dénoncé et combattu à tous les échelons du pays par les citoyens et par les élus. Il ne s’agit pas de rejeter toute réforme territoriale. Mais cela ne peut se faire sans un grand débat national et populaire. Et c’est au peuple de le trancher par référendum.